Ainsi, d'après M. Bourdin : « Certains individus pusillanimes ne passent qu'en tremblant le long des édifices élevés. Une montagne taillée à pic trouble leur imagination et la paralyse, pour ainsi dire. S'ils sont en voiture. ils ferment les yeux pour ne pas suivre du regard la longue ligne ascendante du rocher, qui entraîne l'oeil et l'imagination dans la sphère du vide et de l'inconnu.”
Toujours d'après le même auteur, les plans inclinés sont la terreur de certains agoraphobes : « Une dame, déjà avancée en âge, jouissant néanmoins d'une excellente vue et de la plénitude de ses facultés intellectuelles, ne peut descendre les cinq ou six marches d'un certain perron sans le secours d'une main, fût-ce celle d'un enfant. Ce perron, construit en pierres blanches et très-bien entretenu, présente, au premier aspect, l'apparence d'un plan incliné qui est une occasion de trouble pour la personne dont il s'agit. L'absence de rampe contribue aussi à faire naître les craintes et les augmente. Le moindre secours dissipe toute l'illusion. »
M. Legrand du Saulle, à son tour, fait remarquer qu'à défaut du vide, il suffit d'une surface n'offrant pas de relief important à la vue. Ainsi on a observé l'agoraphobie la mieux caractérisée en présence d'une façade étendue, dans une rue dont les maisons sont fermées ou inhabitées, devant une longue voûte soutenue par des colonnes uniformes, devant un pont aux arches nombreuses. On comprend d'ailleurs assez bien que ce genre d'étendue exerce sur l'oeil et l'esprit une influence analogue à celle de l'espace vide de tout à l'heure.
Ce que M. Legrand du Saulle fait encore remarquer, et qui est intéressant, c'est que, chez les agoraphobes, le souvenir de l'angoisse, quand il est suffisamment vif, et quand le malade se laisse aller à le repasser mentalement, peut provoquer une nouvelle angoisse aussi vive que la première. Sous cette incitation purement interne, l'émotion éteinte renaît, et cette alarme, artificielle, volontaire, n'est ni moins prolongée, ni moins pénible que celle involontaire, accidentelle, dont elle est pour ainsi dire l'écho. Serait-il possible de démontrer plus nettement que la peur des espaces est de son essence et primitivement un trouble psychique, venant retentir secondairement sur les organes, et non une paralysie directe du système nerveux moteur, ou encore moins, comme le voulait Benedikt, un trouble purement sensoriel, un trouble de la vision?
Remarquons aussi que certaines conditions favorisent les crises de la peur des espaces, et que d'autres au contraire les atténuent ou les éloignent. De ces conditions, les unes appartiennent à l'individu, les autres sont extérieures à lui. Quant au second groupe, l'influence la mieux étudiée est celle de la lumière et de l'obscurité. En général, l'obscurité favorise les manifestations de cette névrose. Aux mêmes endroits, dans les mêmes circonstances, quand survient la tombée de la nuit, l'intimidation est plus imminente, plus impérieuse. C'est ce que démontre la généralité des observations.
Enfin, nous avons donné jusqu'ici l'agoraphobie comme se développant toujours en présence d'espaces vides. Mais, nous devons le dire, on a compris dans l'agoraphobie le fait de certains malades pour lesquels le voisinage des promeneurs, la vue des groupes animés, même la présence d'une foule plus ou moins compacte, n'était plus une garantie d'immunité. Il y aurait même des névropathes dont la terreur augmenterait quand le lieu où ils se trouvent est sillonné de passants et de voitures, et M. Legrand du Saulle parle d'une angoisse produite par la foule, angoisse qui, par ses symptômes, est absolument symétrique de celle produite par une plaine nue : « Elle s'impose soudainement et elle est amenée d'une façon presque invariable par ce raisonnement : « Je ne peux pas sortir, je vais avoir une crise, tout le monde va faire attention à moi et se moquer, je suis perdu. »